Pratique philosophique : Elle commence par une prise de distance par
rapport au discours entendu ou lu ; de quoi parle-t-on ? dans quel
but ? donner une information ou provoquer une réaction ? est-il ainsi
principalement d’ordre cognitif, ou d’ordre idéologique ? Sur quelle toile
de fond conceptuel s’inscrit-il ? ceci afin de ne pas être victime d’une
confusion possible entre ce qui est manifestement formulé et ce qui est
réellement dit. Ensuite, que puis-je, moi, en dire de spécifique ? que
puis-je en penser « philosophiquement » ?
Ceci
dit, il n’y a pas de questions proprement philosophique, mais une manière
philosophique d’aborder toute question ; et cette manière consiste, en son début,
en ce que je viens d’expliquer, qui avec l’usage, finit par être comme
un réflexe. S’il n’y a pas d’objet propre à la philosophie, il s’en suit que la
philosophie ne produit pas un savoir, mais une réflexion sur les divers
discours produisant un savoir, et plus généralement sur tout discours. Que
disent-ils ? à quelles conditions d’intelligibilité répondent-ils ?
Quelles cohérences entre les divers discours ? Etc…
Quant
aux questions soi-disant fondamentales, qui pour certains sont les questions
essentiellement philosophiques ( le sens de la vie par exemple…) elles sont
abordées comme toute autre question : que puis-je en dire ? à quelles
conditions d’intelligibilité répondent-elle ? Leur caractère de question
fondamentale est-il réel ou un simple effet de la mondanité des discours
quotidiens et du conformisme social ? Et ainsi, ce que j’appelle
« spiritualité » consiste-t-il lui aussi dans la préoccupation de ces
questions dites fondamentales, mais qui, la plupart du temps, n’empêchent
personne de dormir tranquillement.
Le
niveau du politique dans son rapport avec la pratique philosophique est
double : un premier niveau, qui
pour moi n’est pas le plus important, est la mise en œuvre d’une pratique
sociale en conformité avec les idées que je puis défendre ; ainsi de la
participation à telle manifestation, ou à tel mouvement ou activité politique. Il y a par contre un
autre niveau qui réside dans l’exercice même de la philosophie, qui, en tant
que telle, peut être considérée comme une activité politique ( Althusser
décrivait la philosophie comme « la lutte des classes dans la
théorie ») ; cela s’appuie sur le fait que les idées sont une force
sociale qui ne peut être considérée comme neutre, et dont l’enjeu, avant toute
autre conséquence au niveau du comportement du philosophe, est déjà un enjeu
politique.
Le point de clivage réside sans doute dans la différence
entre une conviction (une croyance), et une connaissance. La première reste
principalement subjective et est difficilement totalement communicable ;
sa présence repose sur des motivations qui peuvent aller jusqu’à la rendre
irréductible à toute contestation ; la seconde est le résultat d’une
démarche potentiellement collective et communicable, donc toujours relative et
évolutive. Il convient de préciser que concrètement toute prise de position est
bien souvent à la fois conviction et connaissance, mais principalement l’une ou
l’autre, et là est la différence.
Ma
formation intellectuelle?
Elle
est d’abord très classique, latin, grec, hébreu, dans des institutions dirigées
par l’Eglise catholique, jusqu’à une formation théologique universitaire. Puis,
dans le cadre du mouvement étudiant
(UNEF), à l’occasion du cursus habituel des études universitaires de
philosophie qui ont suivies, découverte du marxisme, de sa méthode dialectique,
précisée par les réflexions chinoises traditionnelles et contemporaines sur le
principe de contradiction inhérent à tout phénomène : le « un se divise
en deux » ; la contradiction principale et la (les)
contradictions secondaires ; l’aspect principal de la contradiction
principale et ses aspects secondaires et de même pour les contradictions
secondaires, leur aspect principal et leurs aspects secondaires. Cela reste
pour moi une méthode que je m’efforce d’appliquer ; et que pour parfaire
cette formation intellectuelle, je me
suis efforcé de mettre en pratique durant presque 40 ans à l’occasion de la
gestion d’un complexe restaurant-librairie. Tant il est facile de s’imaginer à
tort que l’on a pu traiter un problème théoriquement, alors que la sanction est
rapide si l’on ne parvient pas à traiter un problème concrètement. De cette
mise en pratique, qu’en retire-t-on ? D’abord une connaissance relativement
précise du comportement des individus, seuls et en groupe, face au savoir (les
livres), mais aussi au plaisir (la nourriture, l’alcool, la convivialité) ;
sur un plan théorique, la nécessité d’intégrer à l’analyse de tout phénomène,
et à la gestion des contradictions mises à jour, la temporalité de tout
processus, sa relativité évolutive : demain, peu et prou, rien ne sera comme aujourd’hui. Il faut penser et agir en
tenant compte du temps.